Précarité étudiante : une épicerie solidaire où retrouver le goût de cuisiner
Installée à deux pas de l’université à Orléans, l’épicerie sociale et solidaire Ésope veut répondre à la précarité alimentaire qui frappe les étudiants pauvres, de plus en plus nombreux en raison de l’inflation. Une manière aussi d’inciter les jeunes à bien manger à moindres frais.
Comme chaque mardi et jeudi matin, un camion de la Banque alimentaire se gare derrière l'entrée de l’épicerie pour remettre une variété de produits. Aidée par deux bénévoles, Sonia Walter, la gérante, réceptionne des caisses bien garnies. Ce matin-là, toute l’équipe a le sourire : une tonne de produits vient approvisionner le magasin. « C’est une bonne semaine », lance Benoît Delmotte, responsable de l’épicerie.
Outre la Banque alimentaire, l’équipe d’Ésope compte sur des producteurs locaux et des opérations ponctuelles de collecte dans les grandes surfaces pour remplir ses rayons à bas coût.
Ouverte depuis novembre 2022, l’épicerie sociale et solidaire réservée exclusivement aux étudiants en précarité est installée à deux pas du campus orléanais, dans un ancien gymnase mis à sa disposition par la municipalité et restauré avec le soutien du Secours Catholique. Le principe est simple : Ésope propose denrées sèches, produits frais, d’hygiène et d’entretien de 80 à 90% moins chers que les prix pratiqués en supermarchés classiques. Ici, le panier moyen revient à 5 euros. Soit l’équivalent de 35 euros ailleurs.
Le projet a émergé durant la crise sanitaire à mesure que les étudiants grossissaient les files d’attente devant les points de distribution de colis alimentaires. « Le Covid a été un révélateur de la précarité estudiantine mais le problème existait avant », souligne Benoît Delmotte, « d’où le besoin d’une solution pérenne ».
Les bénévoles commencent à réapprovisionner les rayons en piochant dans les nouveaux stocks. Pour écouler plus rapidement des pots de yaourts en grande quantité et éviter ainsi le gaspillage, Sonia Walter décide de faire une promotion : un acheté, un gratuit. « On ne jette rien. On fait très attention aux dates de péremption et à la rotation des produits », explique la gérante.
Dernière étape avant l’ouverture de l’épicerie. Benoît Delmotte expose dans les présentoirs les quantités disponibles de fruits et légumes. « Ils partent très rapidement », se réjouit le responsable de l’épicerie, qui souhaite offrir la possibilité aux jeunes de bien manger.
Pour soutenir leur inspiration, des recettes faciles de plats équilibrés sont mises en ligne sur le site web de l’association et scotchées sur les rayons. « Les étudiants retrouvent le plaisir de cuisiner et de se mettre à table », remarque Sonia Walter. « Certains nous envoient des photos des plats qu’ils ont préparés ».
Kénaël, un étudiant bénévole, aide au rangement de l'étalage à fruits et légumes dans cette épicerie solidaire aux allures de supérette de quartier. Autour d’une montagne de conserves de haricots blancs se trouvent des produits variés : café, biscottes, boîtes de thon… et même tablettes de chocolat. « Être en précarité, ce n’est pas renoncer aux petits plaisirs », soutient Emmanuel Barbier, président de l’association Ésope Orléans et délégué du Secours Catholique dans le Loiret.
Les étudiants, déjà nombreux, qui attendaient de l’autre côté de la grille verte l'ouverture de l'épicerie, font leur entrée. Au rayon des fruits et légumes, Elizabeth, une bénévole, accueille, avec le sourire, les visiteurs et prodigue, à ceux qui le souhaitent, des conseils sur la façon de cuisiner certains aliments.
Pour faire leurs courses à Ésope, les jeunes doivent s’inscrire en ligne. « Une commission d’admission étudie les dossiers en calculant leur reste à vivre. En deçà d’un seuil, la demande est acceptée. En cas de refus, nous rencontrons l’étudiant pour réévaluer sa situation », explique Benoît Delmotte.
Aujourd’hui, l’épicerie compte plus de 800 adhérents. Un nombre qui devrait augmenter en cette rentrée universitaire. « Avec la hausse des prix, des parents sont ou vont tomber dans la précarité et ne pourront plus aider leur enfant », constate Emmanuel Barbier.
Tous les mardis, Alex, un étudiant ivoirien qui fait ses courses à Ésope, vient à l'épicerie pour « donner un coup de main ». Il témoigne (1'16).
Les premiers arrivés défilent devant l’une des deux caisses et repartent un cabas ou un Caddie chargé de provisions. Avec les économies réalisées en faisant leurs courses à Ésope, ils peuvent de nouveau s’autoriser à sortir entre amis, pratiquer un sport ou voyager. Une aubaine pour les étudiants étrangers qui n’ont pas revu leurs proches depuis des mois voire des années.
C'est le cas de Manel, une étudiante en informatique de 20 ans, originaire d'Algérie. « Avec l’argent que j’ai pu mettre de côté en faisant mes courses ici, j’ai pu me payer un billet d’avion pour rendre visite cet été à ma famille. Avant de venir à Ésope, je ne pensais pas que ça serait possible », confie l’étudiante.
Camille, une étudiante en première année de licence, s’est engagée au sein de l’équipe de bénévoles de l'épicerie pour « rendre la pareille », rencontrer du monde et combattre sa timidité. Depuis qu’elle fréquente Ésope, faire ses courses est « beaucoup moins stressant ». Elle témoigne (1'40).
L’épicerie sociale a aussi vocation à lutter contre l’isolement. « Paradoxalement, ils ont beau être 20 000 réunis sur un campus, ils sont assez seuls, précise Emmanuel Barbier. On voulait que l’épicerie soit un lieu d’échanges et de rencontres ».
C’est pourquoi on y entre par une cuisine, un « espace chaleureux par définition », dit en souriant Benoît Delmotte. « On essaie de faire vivre cette communauté, en espérant que les liens tissés ici puissent être déployés ailleurs ».