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Passoires thermiques : le quotidien infernal des maisons “courants d’air“

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Les passoires thermiques interdites à la location en 2028 ? Les associations engagées aux côtés des plus pauvres, dont le Secours Catholique, regrettent que la loi « climat et résilience », en discussion publique à l’Assemblée nationale depuis ce lundi 29 mars, ne soit pas à la hauteur des enjeux. Car pour Alain, Claire, Pascal, Thierry et pour des millions de Français, vivre dans une passoire énergétique est lourd de conséquences économiques et sociales. Dès maintenant.

« J’ai besoin de boire la nuit », explique Alain, la cinquantaine, des favoris grisonnants, des yeux très bleus. « Les matins d’hiver, ma bouteille d’eau, posée sur le plancher à côté du lit, était gelée. »

Depuis trois ans, avec Claire et leurs deux enfants, ils louent à un particulier « une maison de courants d’air » amarrée aux quais de Bray-sur-Seine, aux confins de la Seine-et-Marne et de l’Yonne. Briques rouges et noires, toit de tuiles orange. Un garage vide occupe le rez-de-chaussée. On accède à l’habitation, à l’étage, par un escalier étroit.

70 m2. Des pièces en enfilade. Toilettes, salle de bain, cuisine, deux chambres, un salon. Dans le prolongement, un grenier où il ne doit pas faire plus de 10°C. Les enfants, 13 et 15 ans, ont chacun une chambre. Alain et Claire dorment dans le salon. Reconverti, midi et soir, en salle à manger. « On est obligés de traverser deux autres pièces pour arriver à la chambre du fond. C’est là qu’on voit que c’était pas fait pour être un logement », déplore Alain.

« C’est une grange, résume-t-il, une ancienne coopérative de pinard transformée en habitation ». À peu de frais. En ce mois de février, il fait à peine 15°C à l’intérieur. Le froid rentre par le garage en dessous, par le grenier du bout : plus de six mètres de plafond et la charpente à nu.

Par les fenêtres aussi. « Des fins de série qui ont passé des mois sur des palettes, dehors », diagnotisque Alain, qui a travaillé plusieurs années dans le bâtiment et s’y connait en récup’. Il adore chiner parmi « les monstres », avant le ramassage des encombrants. Des années auparavant, il a été compagnon d’Emmaüs. La pluie s’infiltre par la fenêtre de la cuisine. « Ça suinte sur les portes quand il fait froid », raconte Alain.

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Une chambre pour nous et un jardin, ce serait plus vivable.
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Aujourd’hui, Alain et Claire touchent le RSA. 1186,03 € par mois pour un couple avec deux enfants. Depuis une tuberculose mal soignée, Alain, qui à une époque gagnait 2000 € par mois, ne peut plus travailler comme scieur-carotteur dans le bâtiment : trop de poussière.

À l’année, plus de 10 % de leurs revenus sont consacrés à payer leurs factures d’électricité. 1500 €. « De quoi éclairer Versailles ! », ricane Alain. Le couple reçoit un chèque énergie annuel. « 277 € », précise Claire.

Comme ceux pour qui chaque euro compte, elle garde en tête le montant exact des factures et des aides. Claire a la cinquantaine, comme son compagnon. Les yeux tout aussi bleus. Une longue chevelure châtaine où brillent quelques fils argentés. « Une fois par an, on va voir une assistante sociale au CCAS [centre communal d’action social] de Provins pour qu’elle nous soulage d’une facture. »

Claire et Alain font partie des millions de ménages français en situation de « précarité énergétique ». Cette notion, inscrite dans la loi en 2010, désigne deux catégories de personnes, explique François Boulot, responsable de la thématique au Secours Catholique : « Les gens qui, parmi les 30 % les plus précaires, ont une consommation d’énergie qui dépasse 8 % de leurs revenus (ceux-là sont 3,5 millions selon l’ONPE, l’Observatoire nationale de la précarité énergétique), et ceux qui déclarent avoir ressenti du froid pendant au moins 24 heures ». Ces derniers représentent 14 % des Français.

Comme pour Alain et Claire, qui rentrent dans les deux catégories, cela est souvent dû à une mauvaise isolation du logement et à une restriction des dépenses d’énergie. Avec des répercussions multiples sur le quotidien.

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« Mais si vous allez en Creuse, vous verrez, c’est encore pire qu’ici ! », lance Alain. Par un drôle de hasard, c’est précisément en Creuse que je rencontre Thierry et Pascal, peu de temps après.

Thierry, 52 ans, vit à Jarnages, à une quinzaine de kilomètres de Guéret. Il loue, dans de l’ancien, une maison mitoyenne dans le bourg du village. Murs couleur crème, volets bleus, c’est la plus jolie de la rue. En apparence.Dès le salon, au rez-de-chaussée, quelque chose cloche. Les meubles ont tous été décollés des murs. Comme si on s’apprêtait à repeindre la pièce.

« C’est à cause de l’humidité », explique Thierry. « Les murs suintent quand il fait froid. » Il a déplacé ses meubles pour éviter de les abîmer.

Il est tout de gris et de noir vêtu. Chez lui, tout est violet ou noir. « Les couleurs des corbeaux ! », lance-t-il. Un style proche des gothiques, dont Mylène Farmer est l’égérie.

À cause de l’humidité, les murs suintent quand il fait froid.

Thierry, 52 ans

À son entrée dans le logement, l’intérieur avait été fraîchement repeint, explique-t-il debout, à côté du muret qui sépare la cuisine du salon. Il s’est installé, confiant. Certaines malfaçons sont très vite apparues.

Derrière lui, la hotte de la cuisine ronronne. « C’est le propriétaire qui m’a dit de l’allumer, parce qu’il n’y a pas d’aération dans la cuisine. » Sur le mur du fond, sous le papier peint, un cercle d’une dizaine de centimètres de diamètre est apparu avec le temps. L’emplacement de l’ancienne aération.

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Thierry énumère ce qui ne va pas : « Une prise de force a été installée sous l’évier. Il y a un trou dans le mur au fond de la cuisine, avec une odeur atroce qui remonte. La baignoire est au milieu de la salle de bain et l’eau coule tout autour... »

Le système électrique est défaillant. Les appareils électroménagers grillent les uns après les autres et s’entassent à l’arrière de la maison : lave-linge, centrale-vapeur, micro-ondes…

Sa dernière facture EDF est exorbitante : 2007,63 €, dont la moitié d’arriérés. Ses revenus ? Environ 1200 € par mois. L’ancien cuisinier ne peut plus exercer son métier pour des raisons de santé. Ses conditions de logement augmentent son anxiété.

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Si la précarité énergétique concerne majoritairement des locataires du privé, elle n’épargne pas les propriétaires. Ils représentent 4 % des personnes accompagnées par le Secours Catholique. C’est le cas de Pascal, qui vit à Ladapeyre, à moins de 10 km de chez Thierry. La soixantaine, en pré-retraite à la suite d’un AVC, il n’a pas pu reprendre son travail d’aide-soignant.

Il y a trois ans, il a acheté à crédit une vieille maison, mitoyenne elle aussi. Au prix où il l’a payée, 11500 €, il se doutait bien que ce ne serait pas le grand confort.

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Dans son salon, il fait une douzaine de degrés en ce matin de mars. Cheveux blonds ondulés, un sourire qui ne le quitte pas, le sexagénaire vit entouré de dizaines de petits cochons roses en porcelaine ou en peluche et d’horloges dont les aiguilles figent le temps.

Les portes en bois et les fenêtres en simple vitrage laissent entrer le vent. Avec un revenu mensuel de 1100 €, Pascal ne peut pas se permettre d’allumer en permanence les radiateurs. Alors il ne chauffe qu’une seule pièce : sa chambre.

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Avec l'isolation et un poêle à granulés, ce sera le luxe !
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Claire, Alain et Pascal mentionnent des températures intérieures pouvant descendre jusqu’à 10 ou 11°C au plus froid de l’année. Leurs habitations sont des « passoires énergétiques » ou « thermiques » : des logements très mal isolés. À l’image des trois foyers visités, il peut s’agir de logements dont la toiture n’est pas isolée. Avec des fenêtres en simple vitrage, comme chez Pascal. Ou usées, comme chez Claire et Alain. Lors des diagnostics de performance énergétique, ces passoires, extrêmement énergivores, reçoivent les étiquettes les plus mauvaises : F et G. Elles seraient 4,8 millions en France selon une enquête du ministère de la Transition énergétique.

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Combattre le froid sans se ruiner

« On met le thermostat à 19°C et les radiateurs, des grille-pains, ne s’arrêtent plus », témoigne Alain. Dès qu’ils sont éteints, le mercure redescend. En complément des convecteurs électriques bon marché accrochés aux murs, Alain et Claire sortent du grenier, les jours de grand froid, un poêle à pétrole. Qu’ils remplissent au compte-goutte. « C’est 40 € le bidon de 20 litres, alors… »

Chez Thierry, chaque pièce est équipée d’un vieux radiateur en fonte relié à une cuve de fioul. Mais impossible de régler la température. Et donc de contrôler sa consommation. Alors il utilise des radiateurs d’appoint, électriques ou à bain d’huile. Lui qui a « toujours chaud » les allume pour que l’humidité ne grignote pas ses meubles. « Quand on vit dans une maison, on la chauffe. Ça entretient le bien du propriétaire ! », lance ce grand gaillard de 52 ans.

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Pour combattre le froid sans se ruiner, chacun à ses astuces. Pendant leur premier hiver à Bray-sur-Seine, Claire et Alain ont étalé des couvertures sur le sol pour empêcher le froid de monter du garage.

Pascal raconte qu’après la guerre, sa mère mettait des vieux journaux entre ses vêtements pour se protéger du froid. Lui a trouvé mieux. « J’ai pas mal de Damart. Quand vous en avez mis une fois, vous pouvez plus vous en passer ! » Il connaît une boutique qui en vend d’occasion à 20 km de là. Il lui arrive de porter une écharpe chez lui.

Il met aussi des boudins rembourrés derrière les portes. Parfois, en pleine journée, il ferme les volets pour faire obstacle à la pluie. Pascal reconnaît qu’il n’a pas beaucoup de visites l’hiver. « Les gens se plaignent du froid. »

Bouts de ficelles et bouts de chandelles

La débrouille permet à Pascal, Alain et Claire de réduire leur consommation énergétique. « On éteint tous les appareils qui sont en veille, explique Alain, sauf la box, parce que le téléphone est branché dessus. » « Quand vous faites cuire vos pâtes, glisse Claire, vous coupez le gaz au premier bouillon et vous mettez un torchon et un couvercle par-dessus. » 

Le couple a vissé des mousseurs sur les robinets pour en réduire le débit. Un sablier réglemente le temps que chaque membre de la famille passe sous la douche.

Pascal, lui, n’a pas besoin de sablier : il n’a même pas de douche. Il se frictionne debout, avec de l’eau à peine chaude. Il avoue qu’il profite de ses visites à son ami Christophe, mieux loti que lui, pour prendre des douches chaudes. Et même, parfois, un bain. « Mais je finis toujours par un filet d’eau froide, c’est bon pour la santé ! »

Et quand il emprunte sa Twingo rouge, direction Limoges, où vit son ami, il s’arrange pour regrouper ses rendez-vous le même jour, pour limiter sa consommation d’essence.

En hiver, c’est une glacière, en été, c’est un four.

Alain, 50 ans

Pascal se réjouit quand on évoque l’été : « Qu’est-ce qu’on est bien ici ! » Entouré de vieilles pierres, il est à l’abri des canicules. Pour Alain, Claire et leurs deux ados, c’est tout le contraire. « En hiver, c’est une glacière, et en été, c’est un four », déplore Alain. Alors, pour créer un peu de fraîcheur, il congèle des bouteilles d’eau puis les place devant le ventilateur.

Ce qui leur permet à tous de surnager : l’aide alimentaire, via des paniers solidaires distribués en Creuse par le Secours Catholique ou par une association de l’Yonne où Alain et Claire se rendent toutes les semaines.

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Pour tous, rénover le logement est une évidence et une urgence. Pourtant, deux des foyers rencontrés ont déjà fait des travaux. Avec de piètres résultats.

« Grâce à nos feuilles d’impôt misérables, le propriétaire a pu faire isoler le logement pour 1 €. Mais même cet euro-là, il ne nous l’a pas remboursé ! », grogne Alain.

Des plaques de polystyrène noir d’une épaisseur de 10 cm, ont été fixées au mur du grenier, attenant aux chambres des enfants, et au plafond du garage. Mais seulement sous les pièces d’habitation. Dans le grenier, le plancher n’a pas été isolé, les tuiles du toit sont toujours à nu. « Tant que l’ensemble du logement ne sera pas isolé, il continuera à y avoir des courants d’air ! », remarque Alain.

Ce que l’isolation a changé ? « Ma bouteille d’eau ne gèle plus en hiver. » Mais le froid est toujours là.

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Yvon Lansonneur, bénévole au Secours Catholique du Finistère, accompagne des personnes en précarité énergétique dans l’amélioration de leur logement. Il regrette l’absence de normes nationales pour encadrer ce type de travaux. « Normalement, ce type d’isolation ne devrait être fait que lorsque la toiture est en bon état. Sinon, dans un an, la laine de verre sera trempée et ce sera comme si on n’avait rien fait. »

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Pascal s’est résolu à réaliser de vrais travaux pour rendre sa maison un peu plus confortable. Il a monté un dossier pour bénéficier des aides du département et de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (Anah) pour remplacer ses fenêtres en simple vitrage et installer un poêle à bois. Les travaux devraient coûter 13 000 € et, après les aides, il devrait lui rester 2600 € à verser.

Pour François Boulot, responsable précarité énergétique au Secours Catholique, ce reste à charge pour les petits propriétaires vivant dans des passoires thermiques est souvent dissuasif et l’accompagnement trop limité. « Il faut que ces familles soient accompagnées tout au long de leurs démarches. À la fois socialement et financièrement. »

Il s’agit de permettre aux gens de sortir durablement de cette situation par un accompagnement global.

François Boulot, responsable de la thématique précarité énergétique au Secours Catholique

Aujourd’hui, le Secours Catholique consacre 1,2 million d’euros aux factures impayées d’énergie. C’est le deuxième poste d’aide après l’alimentation. Pourtant, souligne François Boulot, « il ne s’agit pas seulement de sortir les gens d’une difficulté ponctuelle, mais de leur permettre de sortir durablement de cette situation par un accompagnement global ».

Yvon Lansonneur, ancien cadre d’EDF, explique la philosophie de l’accompagnement proposé par le Secours Catholique. « Quand on reçoit une demande d’aide pour facture impayée d’énergie d’un propriétaire occupant, via l’assistante sociale du département ou de la commune, on essaie de monter un dossier de rénovation, via le programme Habiter mieux. »

Ce programme vise une économie réelle d’énergie d’au moins 25 % pour les occupants du logement. Avant les travaux, « une entreprise agréée par l’Anah réalise un diagnostic pour voir quelles sont les sources de déperdition d’énergie et les travaux à engager : isoler le toit, changer les fenêtres, installer un système de chauffage plus adapté. » Cette même entreprise assure le suivi des travaux réalisé par les artisans.

Mais les propriétaires qui mettent leur bien en location « n’ont pas intérêt à faire des travaux qui vont leur coûter cher et dont ils ne vont pas bénéficier », regrette François Boulot.

Pour Yvon Lansonneur, la loi « climat et résilience », qui propose d’interdire la location des passoires thermiques en 2028, « ne va rien apporter ». « On est en 2021. 2028, c’est dans sept ans ! C’est trop loin ! » Comme nombre d’associations, le Secours Catholique regrette le manque d’ambition réelle du texte. Et souhaite que, très rapidement, les propriétaires bailleurs de passoires énergétiques soient amenés à rénover leurs biens.

Alors à Bray-sur-Seine, Alain et Claire n’attendent qu’une chose. Prendre le large. Elle rêve d’une maison avec une pièce en plus, pour enfin avoir une chambre à eux. Et d’un jardin, pour cultiver des légumes avec ses enfants. Lui rêve de panneaux solaires sur le toit. Pour produire une partie de l’électricité consommée. Autonomie alimentaire et autonomie énergétique. Leur paradis, en somme.

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La maison de mes rêves ? Une ferme écologique et autonome.
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Auteur et crédits
Aurore Chaillou © Christophe Hargoues et Élodie Perriot/Secours Catholique