
Femmes âgées au bord de l'isolement
À Saint-Symphorien-sur-Coise, au cœur des monts du Lyonnais, vieillesse et isolement vont souvent de pair. Des femmes d’agriculteurs, aujourd’hui seules, souffrent de solitude. Pour briser l’isolement du quotidien, certaines d’entre elles se rassemblent autour d’un déjeuner ou d’un jeu de société. Rencontre.
Pour se rendre chez Marie, il faut grimper ou descendre raide, c’est selon et c’est le lot de tous à Saint-Symphorien. Arrivé au pied de son petit immeuble HLM accroché à la pente, on a la surprise de devoir appuyer sur –
Des plantes grasses ornent le salon qui fait aussi office de salle à manger. «
On aperçoit les maisons délaissées des tanneurs, ces ouvriers des métiers du cuir et du tissu, natifs ou venus de loin pour rejoindre la capitale des monts du Lyonnais. Les 3 800 habitants sont d’ailleurs dénommés les “Pelauds”, en référence aux “peleurs de peau” disparus depuis la fermeture de la dernière usine il y a vingt-cinq ans. Accoudée au balcon, Marie montre du doigt la route en lacet qui relie la plaine du Forez et la vallée du Rhône. Si “Saint-Sym” a été réputée pour sa situation géographique attractive durant des siècles, la ville reste loin des grandes agglomérations.
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« Femmes de »
Marie aurait bien troqué l’agriculture pour la tannerie, voire serait même partie carrément. Avant de rejoindre ce logement social en 2003, elle n’avait jamais quitté le village de Saint-Martin-en-Haut situé à une dizaine de kilomètres, dans les terres. Aînée d’une fratrie de huit enfants, elle naît en 1945 et grandit à la ferme. Son père agriculteur faisait principalement du beurre et du fromage qu’il revendait à Lyon, «
Quand elle évoque sa mère, son visage s’assombrit . «

Je suis arrivée ici en piteux état. J’étais carrément à zéro
À 21 ans, elle passe d’une ferme à une autre, dans le même village, se marie avec un agriculteur avec qui elle aura 5 enfants dont un décédera. «
À l’approche de ses 60 ans, ses filles la poussent à quitter la maison familiale. Une question de survie. «
Marie raconte sans sourire. Sa force de caractère contraste avec sa silhouette frêle et courbée. «

Aujourd’hui, Marie touche une retraite “de base” de 733 euros, avec un petit complément de 200 euros pour avoir élevé quatre enfants. Mais cette femme au grand cœur ne s’apitoie jamais sur son sort : «
Isolement et précarité
Grâce à son mari maçon, Thérèse, pour sa part, est propriétaire d’une petite maison. En levant haut les yeux dans la rue devant chez elle, elle aperçoit le balcon de Marie. Ici, la pente est encore plus raide pour se rendre dans le centre-ville. L’histoire familiale des deux femmes se ressemble : enfance dans une ferme, aînées d’une fratrie de six enfants. Pas de place non plus pour son rêve d’être couturière. À ceci près qu’à 15 ans, après son certificat d'études, Thérèse échappe au travail de la ferme et des moissons : elle est placée dans une famille pour s’occuper des cinq enfants.
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Dans le séjour, un grand lit côtoie la table et un téléviseur. Dans la pièce voisine, une cuisine spartiate. «
Thérèse perçoit pourtant la retraite de son mari, 1 380 euros par mois. Elle n’en vit pas moins pauvrement. «
Thérèse n’a jamais vu la mer. Elle n’est jamais partie en vacances.
Thérèse peut passer des journées entières sans voir personne, juste les signes de mains des voisins qui lui disent bonjour lorsqu’elle est à sa fenêtre. Même aller au marché devient difficile : «
Thérèse n’a jamais vu la mer. Elle n’est jamais partie en vacances. L’un de ses deux fils vient parfois la chercher pour faire un tour à Villeurbanne : «

Sortir, une épreuve
En ce mercredi froid d’octobre, Marie s’active : elle dispose sur la table une assiette de jambon blanc, une salade de pommes de terre au saucisson et aux lardons, une salade verte et du pâté en croûte. Un menu à l’image des industries de charcuterie, Olida hier, Cochonou aujourd’hui, qui ont remplacé celles de tissage et qui font vivre le territoire. « Le maire dit même que Saint-Sym est la capitale du cochon
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On s’entend bien toutes les deux, on se dit des conneries.
Sa rencontre avec le Secours Catholique en 2003, et en particulier avec l’animatrice de l’association Anne-Françoise Liotard, lui a permis d’évoquer le sujet lors de réunions, à Lyon, consacrées à la mobilisation citoyenne autour de sujets de société. «
Anne-Françoise, présente au déjeuner ce jour-là, témoigne de la nécessité d’un tel rendez-vous : «
Les vieilles dames arrivent au compte-gouttes, au rythme lent du grand âge. Elles parlent du froid glacial de la ville, des travaux de la rue d’en dessous, se demandent pourquoi le petit commerce est fermé aujourd’hui. Toutes vivent seules mais portent encore leur alliance. «

L’autre Thérèse n’est pas en reste pour dire des blagues. Un moyen de surmonter les souvenirs d’une vie difficile. Issue d’une famille de 15 enfants, elle se retrouve, alors qu’elle est adolescente, à l’Aide sociale à l’enfance. Usson-en-Forez, Grézieu, Pommeys, elle a parcouru les villages alentour dans de nombreuses familles d’accueil… «
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Un travail au foyer non reconnu
Au bout de la table, André écoute attentivement les mamies. Il pourrait être leur fils. Il les regarde avec bienveillance. « Voilà la situation des femmes en milieu rural, lâche-t-il. Vous avez travaillé dans l’ombre d’un conjoint toute votre vie, et vous n’avez pas cotisé… » La veille de sa retraite, après une longue carrière de menuisier, André a cherché un sujet sur lequel s’engager. « Je ne peux pas vraiment vous dire ce qui m’a poussé à venir ici. Je me souviens juste de Marie, un dimanche à la messe, invitant les personnes seules à se rassembler le mercredi autour d’un déjeuner. »
Pour lui, c’est un “appel”. « Sur les marchés je voyais des gens tout seuls, qui ne parlaient à personne. Dans mon village il y a beaucoup d’agriculteurs, des hommes aussi, qui vieillissent seuls. Je me suis dit que j’allais chercher des solutions pour briser ces solitudes destructrices. » André raconte avoir été très marqué par l’histoire de sa mère, veuve à 53 ans. « Sur le papier, elle n’a jamais travaillé. Mais élever huit enfants est le travail d’une vie, et quelle reconnaissance a-t-elle eue ? »
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Vieillir en famille
Alors André a fait ce qu’il savait faire : construire une maison à vocation solidaire pour aidants et aidés. À six kilomètres de Saint-Symphorien, à Larajasse, le chantier avance bien. « Il y aura deux appartements reliés par une pièce commune. Ce n’est pas médicalisé mais l’idée est de pouvoir vivre sa vieillesse en famille, à la campagne. » Tout a été pensé dans les moindres détails : l’isolation phonique, la place pour un fauteuil roulant, des portes qui séparent chaque espace… En construisant cette maison, le retraité a pensé à sa sœur âgée de 65 ans : « Il y a quinze ans, elle est tombée malade d’Alzheimer.
Elle a travaillé un peu mais a surtout élevé trois enfants. Elle a une toute petite retraite. Quand la maladie s'installe, petit à petit, elle vient vous ronger. Comment va se passer sa vieillesse ? » Au milieu du chantier, André se met à pleurer. « Quand ces femmes qui se réunissent disent qu’elles n’ont pas travaillé, c’est faux ! C'est une grosse injustice. » À sa mère, à sa sœur, il aurait aimé offrir un tel logement.
Sans ce jardin, Marie dit qu’elle n’aurait pas survécu.
Marie ne pense pas quitter un jour son appartement. Elle a trouvé son équilibre grâce à un petit jardin. Depuis vingt-deux ans, elle se rend tous les jours sur sa parcelle de 200 mètres carrés qu’elle loue moyennant quelques euros par an. « Au début je suis allée aux Restos du cœur, mais j’ai vite réussi à cultiver tous mes légumes. Je fais des conserves, des confitures, et mes enfants me donnent de la viande. Ça va bien, comme ça. »
Sans ce jardin, Marie dit qu’elle n’aurait pas survécu. « C’est un défoulement, un moment de ressourcement. Je n’entends plus rien, je vide ma tête… » En retirant les mauvaises herbes, elle déclare à la manière d’une conclusion : « J'ai toujours dit à mes filles puis mes sept petites-filles : prenez un métier et foutez le camp de la maison. Une femme a besoin de son indépendance. »
Pour une société solidaire et inclusive
par Aurélie Mercier, Chargée de projets Solidarités familiales au Secours Catholique
L'isolement des personnes âgées constitue une réalité préoccupante de notre société. Facteur d'exclusion sociale, il fragilise les aînés, altère leur santé et leur qualité de vie. Les causes de cet isolement sont multiples : perte de mobilité, éloignement familial, deuil, précarité, manque d'accès aux services et aux transports... Autant de barrières qui rompent le lien social et enferment les personnes âgées dans une solitude pesante.
Face à cette situation, les bénévoles du Secours Catholique tissent des liens de proximité par des visites à domicile ou en maison de retraite, par des groupes conviviaux, des accompagnements à la mobilité et des séjours de vacances.
Par son plaidoyer, le Secours Catholique interpelle les pouvoirs publics et la société civile pour un meilleur accès aux soins, au logement et notamment au logement adapté, aux transports et aux loisirs, ainsi que pour un renforcement des dispositifs de lutte contre l'isolement. S’agissant de l’Aspa (allocation de solidarité aux personnes âgées), le Secours Catholique demande un accès facilité afin de lutter contre son taux record de non-recours.
Une petite victoire de plaidoyer a été d’obtenir le couplage du versement de l’Aspa quand on l’obtient avec la complémentaire santé solidaire. Cela évite une démarche supplémentaire. Reste que les personnes âgées sont plus que d'autres confrontées au tout-numérique et à la disparition des services publics, en dépit du développement de France services.
L'enjeu est de taille : construire une société solidaire et inclusive, où chaque personne âgée se sente respectée, écoutée et intégrée. Le Secours Catholique appelle chacun à se mobiliser pour que la fraternité ne soit pas un vain mot, mais une réalité vécue au quotidien.