Sans abri : « Ici, je ne me sens pas en prison »
Depuis décembre 2020, le Centre d’hébergement d’urgence la Colline, à Toulouse, garantit un accueil inconditionnel aux personnes sans abri. Le but de cette démarche expérimentale : permettre aux plus marginalisés de sortir de la rue et de se stabiliser pour reprendre pied.
Ne pas se sentir en prison, c’était important pour José. Après « 25 ans de galère » à naviguer entre la rue et les hôtels sociaux, cela fait quelques mois que cet homme de 55 ans a posé son sac au centre d’hébergement d’urgence la Colline, dans le quartier Patte d’oie, à Toulouse.
Ici, pas d’horaires contraints, juste un digicode et un gardien qui filtre les entrées à partir de 23 heures, pour la sécurité des résidents. « Les personnes qui sont hébergées ont une vie dehors, comme nous tous. Elles ont besoin de sortir, d’aller voir des amis... », explique Pamela Lebrun, la cheffe de service du centre. « Quand tu vis en appartement, personne ne contrôle tes entrées et sorties », abonde Anthony Macillac, moniteur-éducateur.
Cette liberté est au coeur du projet de ce foyer ouvert en décembre 2020 par Cités Caritas. Elle se manifeste aussi dans le choix de respecter strictement l’intimité des personnes accueillies.
Fred (photo ci-contre), 53 ans, arrivé à la Colline après 6 mois de vie à la rue, apprécie : « Ici, ils ne rentreront jamais dans nos chambres sans nous avoir prévenu auparavant. » Pour lui, c’est précieux. « Dans ta chambre, il y a tout ce que tu possèdes. C’est comme si quelqu’un s’introduisait chez toi. »
Proposer
Il arrive parfois à Pamela, Anthony ou à d’autres accompagnateurs d’apercevoir, par l’entrebâillement d’une porte, des canettes de bières vides qui jonchent le sol, un amas de bricoles ramassées dans la rue…
« Si on pense que c’est nécessaire, on essaye d’approcher la personne, en faisant attention de ne pas la mettre mal à l’aise et en insistant sur le fait que son désordre ne nous dérange pas mais que c’est surtout pour son bien-être à elle, explique Pamela. On peut aussi proposer de l’aider à ranger, si ça lui dit. »
Le mot d’ordre : proposer sans imposer. « On respecte la singularité de chacun. » Et ce respect est souvent réciproque. « Ça t’encourage à t’adapter, estime José. « Ici, malgré mon caractère, j’ai appris à fermer ma gueule », plaisante-t-il.
La plupart des personnes sans abri qui ont un chien, ne se sépareront jamais de ce compagnon de vie.
À la Colline, José partage sa chambre avec sa chienne, Tia, une Malinois-Staff âgée de 4 ans. La structure de Cités Caritas est l’un des rares centres d’hébergement à Toulouse qui accepte les chiens. La plupart les refusent, par crainte des maladies, des puces ou des bagarres. « Les gens qui gèrent les foyers ne veulent pas comprendre que notre animal est notre seul confident, regrette José. Dans la rue, c’est avec lui qu’on dialogue. »
Interdire les chiens, c’est, de fait, exclure une large part des personnes sans abri « qui ne se sépareront jamais de leur compagnon de vie », observe Pamela Lebrun : « C’est pourquoi on a choisi de les accueillir. On demande juste à ce qu’ils portent une muselière hors de la chambre. »
La présence des chiens ne pose pas de problème. « Leurs maîtres en prennent souvent bien soin, note Pamela. Et ils sont vraiment soucieux que ça ne dérange pas les autres. »
« Quand tu es dans une chambre de 14m2, tu es obligé de bien tenir ta chienne, témoigne José. Dès qu’elle aboie, je lui dis de se taire. Parfois c’est à 3h ou 4h du matin. Heureusement que le mec d’à côté est cool. »
Addictions
Comment gérer les problèmes d'alcoolisme ou de toxicomanie très répandus dans la rue ? « On aura beau tout mettre en oeuvre pour empêcher les personnes de consommer, on n’y arrivera pas », explique Anthony Marcillac. Du coup, « plutôt que de les exclure, nous les accompagnons à travailler autour de leurs addictions, notamment via la réduction des risques. » Pour cela, l'équipe de travailleurs sociaux est soutenue par différents partenaires spécialisés dans ces problématiques.
Et de fait, « on n'est pas confrontés à des effets de surconsommation, à des gens "fracassés" », observe le moniteur. « Les personnes se contrôlent », confirme Pamela.
Pour Fred, l’autogestion est une question de respect des autres. Le quinquagénaire assure avoir réussi à fortement diminuer sa consommation de crack depuis qu’il a intégré la Colline. Comment l’explique-t-il ? « Parce qu’ici, je suis posé et je me sens en sécurité. Je suis bien dans ma tête. »
Cohabitation
À l’image de Fred et José, le public accueilli par la Colline est principalement composé d’hommes marginalisés. « Mais nous hébergeons aussi des femmes seules et des couples sans enfant, souvent des étrangers déboutés du droit d’asile, explique Pamela Lebrun. Tout type de personnes sans autres solutions d’hébergement. »
Malgré cette diversité de profils, la cohabitation se passe plutôt bien. « C’est calme, rapporte Lamine, un jeune trentenaire algérien installé à la Colline depuis sept mois avec sa femme Aïcha. L’équipe est super. Et les personnes qui ont des problèmes d’alcool ont toujours été respectueuses, jamais agressives. »
C’est important de veiller à l’équilibre collectif.
Il arrive qu’une personne accueillie soit exclue temporairement ou définitivement pour non-respect répété des règles ou à cause d’un comportement violent. Mais cela reste rare. Il arrive également que, malgré son principe d’accueil inconditionnel, la Colline refuse quelqu'un.
« Récemment le 115 souhaitait orienter vers nous, un homme qui avait des troubles psychiatriques, raconte la cheffe de service. Nous avons déjà plusieurs personnes dans ce cas, donc je leur ai demandé d’orienter cet homme vers un autre centre. C’est important de veiller à l’équilibre collectif. »
retour à l'autonomie
Parfois, la vie en collectivité finit par peser. Jean-Marc (photo ci-dessous), 56 ans, avoue avoir « pété des câbles ». Il ne supportait plus de devoir « constamment nettoyer derrière les autres ». Depuis, il essaye de relativiser.
Cet ancien cuisinier, qui reçoit l’allocation aux adultes handicapés (AAH), vit à la Colline depuis un an. Les premiers mois lui ont permis de « reposer (sa) tête et (sa) jambe blessée », dit-il. Il a apprécié de trouver de l’écoute et du réconfort. Mais aujourd’hui, il sent qu’il a besoin de partir, de retrouver davantage d'autonomie.
« Notre mission est de mettre les personnes à l’abri et de travailler avec elles à la stabilisation de leur situation, explique Pamela Lebrun. Ici elles posent leurs bagages et se reposent. Elles regagnent peu à peu confiance en elles. Et lorsqu’elles sont prêtes, elles entreprennent, avec notre aide si besoin, des démarches pour ouvrir leurs droits sociaux. »
Tremplin
La Colline est pensé comme un tremplin. Dans l’idéal, les séjours ne devraient pas y durer plus de quelques semaines. En réalité, la sortie est plus compliquée. Parce qu’il y a peu de places dans les centres ou dispositifs censés prendre le relai. « Et aussi parce que les conditions d’entrée y sont souvent plus restrictives que chez nous », explique Pamela Lebrun.
Après avoir essuyé quatre refus ces derniers mois auprès de diverses structures, José pourrait bientôt intégrer une maison relai. « Son dossier est à l’étude, il est motivé », rapporte Pamela.
La responsable de la Colline espère pour lui que cela va marcher. « Il aurait un logement pérenne, un vrai chez lui où il paye un vrai loyer. Et un accompagnement vers l’emploi, ce que nous ne faisons pas, précise-t-elle. Sa situation administrative et financière est aujourd’hui stable. Il faut qu’il passe à autre chose pour pouvoir avancer. »